Lithographie en couleurs
120 x 160 cm
Avec son affiche, l’artiste soutient cette impossible gageure : figurer un motif noir sur fond noir. Loupot reprend le dessin habituel de l’animal prêt à bondir ornant les boîtes de la marque. Il le conforme à la composition horizontale voulue, mais il en donne un peu plus à l’annonceur et à son public, cette prime, cette surprise graphique qui saisira le passant et peut-être le charmera. L’affiche contrevient aux prescriptions habituelles, lesquelles demandent un contraste fort, une visibilité maximale. Comme d’habitude, Loupot concilie la force et la nuance. L’image se révèle au gré de l’éclairage disponible (imaginons celui d’un couloir de métro à l’époque des ampoules à incandescence) et du déplacement du spectateur (en ville on est toujours en mouvement). L’animal encré noir brillant surgira dans votre champ visuel en reflétant la lumière et ses yeux, pareils à ceux d’un animal pris dans les phares d’une auto, sembleront vous regarder.
Dans Affichiste, son volume de souvenirs et de propos sur son métier, Raymond Savignac exprime en 1975 sa réserve pour la Lion noir de Loupot et même sa réprobation. Pour lui cette affiche ne saurait bien fonctionner en pratique et relèverait d’une sorte de geste gratuit, de caprice d’artiste arrivé (il ne le dit pas ainsi, mais doit le penser).
Charles Loupot savait pouvoir mener à bien dans son propre atelier ce travail dont la réussite reposait sur la qualité d’exécution. L’examen comparé de la maquette originale et de l’affiche permet d’apprécier la qualité de cette réalisation étonnante. Quant à l’efficacité de la campagne, elle ne fut peut-être pas aussi faible que le décide Savignac. La mise en place fut renouvelée et dura un certain temps, ce qui tend à montrer que ses résultats commerciaux donnaient satisfaction. Il s’agissait d’entretenir la notoriété d’une marque qui avait toujours fait beaucoup de publicité, de conforter le capital de sympathie attaché au lion noir, nom de marque et célèbre figure publicitaire.
Savignac critique cette affiche, mais s’il en parle vingt-cinq ans plus tard, c’est qu’elle l’avait marqué. Écoutons-le :
« À la vérité, je ne condamne pas l’affiche décorative […] Loupot a, dans ce domaine, tenté une gageure. Il a poussé jusqu’au bout l’esprit décoratif : pour le Lion noir, il a réalisé une affiche complètement noire. Le lion était d’un noir brillant sur un fond noir mat. On ne le distinguait vraiment que par son œil qui étincelait, tout comme la boîte de cirage, posée sous sa patte. Malgré son talent, Loupot n’a pas gagné son pari. Ce qu’il a fait n’est resté qu’un jeu de l’esprit. Son affiche était superbe dans son atelier, pas dans la rue, où cet exercice de haute voltige picturale ne voulait plus rien dire. On ne badine pas avec l’affiche. Les paradoxes graphiques peuvent être délectables, dans les musées. »